…Indira hocha la tête, sans être convaincue. Déjà, les premiers élèves passaient sous les fenêtres sombres des constructions. Même si on leur avait dit qu’ils ne devaient pas s’inquiéter, ils scrutaient chaque ouverture et marchaient prudemment. Leur accompagnatrice, tout aussi peu rassurée, crut voir des ombres passer, des reflets sous les feuillages. Il était manifeste qu’ils étaient observés, même si on entendait que le bruit du vent dans les branches et les pas sur le sol. Dans d’autres circonstances, Indira aurait été terrorisée, mais le goût de l’air, un brin sucré, la calmait. Il flottait un parfum d’amande qui se transformait en effluves de pêche en un coup de vent.
Ces odeurs lui disaient qu’elle marchait dans un monde extra-terrestre, bien que les arbres aient une forme familière. Même en se concentrant, Indira ne percevait rien ressemblant de près ou de loin au purin déversé dans les champs. L’atmosphère paraissait dépourvue de fragrances nauséabondes. Pourtant, malgré cette étrangeté qui l’environnait, tout ceci lui rappela certains matins tièdes sur Néo-Aryanis. Indira pouvait se promener des heures entre les banians, à écouter le chant des courlis près du lac. Le sol sous ses pieds nus avait la même douceur, et l’herbe la chatouillait de la même façon. Un instant, elle s’imagina au bras d’Arthur, mais cette pensée la perturba. Indira voulut la chasser, mais elle prit des contours de plus en plus précis. Le nom de Meredith tournait autour de l’image, l’empêchant d’assumer ce désir. Elle devrait vivre avec sur le Melkine. Quand elle atteignit la clairière, l’image d’Arthur s’effaça. Indira jeta un coup d’œil derrière elle. Les bâtiments restaient mystérieux. S’était-il passé quelque chose, vraiment ?
La lumière du soleil tombait de manière douce dans la clairière. Les élèves s’étaient assis ou couchés dans l’herbe mauve. Ils ne semblaient pas avoir été perturbés par le trajet entre les bâtiments. Ils profitaient du contact avec un sol naturel, friable, chaud. Pour des voyageurs spatiaux, habitués au métal, ces sensations avaient un goût précieux, et se savouraient avec intensité…
Première planète atteinte par la flotte de l’Expansion. De toutes les planètes connues, Babil-One est la seule comportant une espèce extra-terrestre sentiente, les Samaladi (singulier : Samaladash). Des installations humaines ont été construites au sol, mais il est interdit de développer une quelconque colonie en dehors du périmètre géré par l’unité Neumann. Un ascenseur spatial permet aux voyageurs de séjourner entre 24 et 48h sur le sol de la planète.
La particularité des Samaladi réside dans leur capacité à prendre l’apparence de leur interlocuteur. Empathes naturels, ils ne copient pas mais adoptent les traits d’une personne désirée. Malgré les efforts des chercheurs, personne n’a jamais pu observer la vraie silhouette d’un de ces extra-terrestres. Un accord a été conclu entre les premiers colons et les Samaladi qui assurent la tranquillité de la presque totalité de l’espèce en l’échange de services intimes pour les touristes. Depuis le premier contact, aucune violence n’a jamais été rapportée entre les deux espèces.
La planète est la seule étape obligatoire du Melkine dans son périple interstellaire. Les élèves ont des relations privilégiées avec certaines tribus samaladi.