Archive for décembre, 2016


Westworld

La première saison de cette série produite par HBO s’est terminée et si l’on enlève les slogans tapageurs (genre, le Game of Thrones de la science-fiction), elle marque par son apport science-fictif tout autant que par sa réalisation. Je ne prétends pas être exhaustif dans cette note, mais de présenter les principaux questionnements que la série soulève.

 

La série se déroule dans un univers de western mais qui est un univers artificiel, un parc d’attraction où les humains peuvent jouer un rôle dans un ensemble de scénarios mettant en jeu les clichés du genre (le saloon, les prostitués, les bandits, les indiens). Dans ce divertissement, les joueurs ne prennent aucun risque, les hôtes qu’ils croisent sont des robots et ils ne peuvent tuer les invités. L’histoire se concentre sur plusieurs personnages, depuis Dolorès, une hôte qui est au centre d’un drame ayant bouleversé le parc dès l’origine ; l’homme en noir, un invité mystérieux qui cherche les secrets de ce Westworld ; jusqu’à Ford (joué par Anthony Hopkins) le concepteur et grand ordonnateur de ce monde.

Le premier plaisir, basique mais pas tant que ça, c’est celui de la réalisation, avec ces grands espaces « fordiens », la lumière dans ces paysages démesurés de l’Ouest. Même s’il s’agit d’un parc artificiel, c’est agréable de sortir de tous ces futurs vert-de-gris. Les grands espaces, ceux où tout est possible, voilà le monde de Westworld.

Ensuite, si la série est plutôt mystérieuse dans ses premiers épisodes, à peu près toutes les questions scénaristiques trouvent leur réponse. On peut trouver que c’est un défaut (le spectateur a suffisamment d’avance sur l’histoire pour avoir la réponse avant la révélation), mais on sent que les auteurs n’ont pas voulu faire peser tout l’impact de la série sur ces révélations. Je pense que ces mystères relativement simples existent pour maintenir l’intérêt et inciter le public à suivre les principaux enjeux qui, pour le coup, sont complexes pour une oeuvre de science-fiction grand public. L’équilibre à trouver est complexe pour satisfaire l’amateur astucieux et le spectateur qui ne connaît rien aux concepts technologiques utilisés. Jonathan Nolan, qui a aussi fait la série Person of Interest, fait le pari de faire avaler une science-fiction complexe à un public non connaisseur, en distillant ses idées dans un contexte accessible.

Ici, il met en scène deux énormes morceaux : les MMORPG et la conscience robotique. Le tout en sortant du classicisme, puisque son jeu est dans un parc et pas dans des ordinateurs en réseau et une reconstitution 3D, et ses robots agissent selon des règles qui ne sont pas asimoviennes.

Westworld est un jeu, où les invités n’ont pas d’avatar. Il est très vite dit que dans ces conditions, chacun peut être ce qu’il veut, peut choisir d’être un héros ou un salaud selon son envie, sans craindre les conséquences. Chaque hôte qu’il rencontre est une quête, comme dans tous les jeux, et il peut décider de la lancer ou non. Cependant, au fil de l’histoire, cette question de la virtualité apparaîtra plus complexe. Et si, au lieu de choisir qui ont veut être, on n’était pas précisément ce qu’on est, sans toutes les contraintes de la vie sociale. Est-ce que la vie en dehors du parc n’est pas plus virtuelle, plus illusoire que celle dans le parc ? Il n’y a pas de réponse définitive à ces questions, mais la série offre la possibilité de remettre en question les clichés habituels sur les jeux en ligne. Pour avoir longtemps joué à World of Warcraft, j’ai retrouvé pas mal d’éléments que connaissent les joueurs de MMORPG.

L’approche de la conscience des machines est la plus travaillée et la plus complexe, surtout que les scénaristes ont opté pour un biais qui ne semblait pas évident : l’esprit bicaméral. Cette théorie du psychologue Julian Jaynes dans les années 1970  suppose qu’avant d’être conscients, les humains disposaient d’un esprit en deux parties, l’une parlant, l’autre écoutant, comme les héros grecs écoutent les dieux de l’Olympe les guider. Ce qui est une hypothèse assez farfelue devient un instrument technologique pour les concepteurs de Westworld. Tout ce que les robots font dépend de cette voix qu’ils entendent, des rêveries qui ont été intégrées à leur programmation et affinent leurs expressions, les mouvements de leur corps et de leur visage. En dehors de l’impossibilité de tuer des humains, les robots n’ont pas de limite, et s’ils revivent sans cesse les mêmes événements à chaque fois qu’ils ont été tués, certains d’entre eux progressent, se modifient et prennent conscience. Ce n’est qu’à la toute fin que ce choix de l’esprit bicaméral prend tout son sens, offrant une traduction cinématographique à un problème intellectuel.

Il y a beaucoup de dialogues et d’explications dans cette série, mais les éléments indispensables résident dans la mise en scène, dans ce qui est montré plus que dans ce qui est dit. Même si une saison 2 est annoncée, les 10 épisodes de la saison 1 forment un ensemble cohérent. Westworld est une série sur le récit, sur la narration, sur son importance dans la construction de notre identité, mais elle le fait dans la splendeur des grands espaces, au son d’un piano mécanique de saloon, et avec l’envie de sauver la demoiselle en détresse.

Toutes les tables tondes des Utopiales  étant mises en ligne, j’en profite pour faire un récapitulatif de l’événement et rajouter quelques informations. Le festival s’est parfaitement déroulé, avec un public important (82 000 entrées) et une organisation parfaite. L’identité du festival, en favorisant le lien entre science et fiction, attire manifestement et de plus en plus. C’est réjouissant de voir cet attrait pour la science.

Pour dénicher le sujet de table ronde, ActuSF a présenté l’ensemble sur une seule page, bien pratique. Qu’ils en soient remerciés. Concernant les TR auxquelles j’ai participé ou que j’ai animées :

Lundi 31 octobre

Le kami du percolateur

La justice numérique

Mardi 1er octobre

Quand la machine surprotège l’homme

La machine peut-elle faire de la littérature ?

Eco-technologie en science-fiction ?

Mercredi 2 novembre

La machine qui lit

Pokemon Go

Ce qui n’a pas été enregistré, c’est la journée scolaire du jeudi. La rencontre avec les lycéens fut passionnante. J’étais interrogé sur une grande partie de mes livres, avec des questions portant à la fois sur le contenu mais aussi sur le processus créatif. La rencontre avait été très bien préparée par les enseignants et les élèves avaient lu dans le détail mes ouvrages. Je dois avouer que je n’ai pas souvent eu d’interview avec des questions aussi approfondies (certains journalistes ne prennent pas le temps de lire les ouvrages. Malheureusement, rares sont ceux qui arrivent à le cacher.), très loin d’être banales ou fourre-tout. J’ai vraiment apprécié ce moment d’échange. Les tables rondes font partie de l’habituel en salon, et si on les prépare un minimum, il y a peu de mauvaises surprises mais rarement de vrai enthousiasme tant on dispose de peu de temps pour développer un propos : il faut laisser la place aux autres intervenants. Ici, l’exercice était très différent et les lycéens ne sont pas là pour « vendre » l’auteur à un public, c’est pourquoi ce moment fut mon second préféré des Utopiales 2016


Car mon moment préféré fut l’annonce du prix Joël-Champetier décerné à une nouvelle d’un auteur francophone non-canadien en souvenir du nouvelliste et directeur de la revue Solaris, la plus ancienne revue de science-fiction francophone.

Soumettre un texte, sans thème imposé, en sachant que le jury se prononcerait sur des textes anonymisés, c’est un peu sauter dans l’inconnu, surtout quand il s’agit de la première édition. Impossible de deviner les attentes du jury. Quel texte envoyer ? J’ai déjà envoyé des textes à des revues (du temps de Galaxies, quand Jean-Claude Dunyach sévissait sur les textes d’auteurs français pour les faire progresser), j’ai envoyé des textes anonymisés pour des appel à texte thématiques (notamment pour l’anthologie Dimension Routes de légende, à paraître bientôt chez Rivière Blanche), mais là, je n’avais aucun point de référence. En plus, contrairement à beaucoup d’appel à textes qui passent sur les réseaux sociaux, où des tas d’auteurs débutants ou non, rendent compte jour par jour de l’évolution de leur texte, partageant leur angoisse de la deadline avec la Terre entière, ici, personne n’en parlait. Combien d’autres auteurs allaient soumettre ? Combien de pros, de débutants ?

Il y avait trop de questions pour s’occuper de trouver des réponses. J’avais écrit un texte en 2009, intitulé Graine de fer, sans savoir où je le soumettrais (j’ai quelques textes dans mes tiroirs qui attendent le support de publication adéquat, avis à ceux que ça intéresse). Il traitait d’un monde après une guerre européenne entre ingénieurs et écologistes, avec un informaticien tentant de débarrasser une jeune fille d’un virus s’étant emparé de ses jambes au point de les recouvrir d’écorce. On y éprouvait les traumatismes d’après-guerre, la difficulté de pardonner et ce qu’il fallait d’effort pour reconstruire. C’est aussi un texte sur le mensonge, celui d’une mère à sa fille, et de la nécessité de la vérité si celle-ci n’aide pas à vivre. Cet univers, j’ai fini par le développer dans Jardin d’hiver, qui raconte les événements se déroulant avant la nouvelle. Chaque texte peut se lire indépendamment mais les deux se répondent. Si bien qu’avec la sortie du roman, j’ai considéré que le prix Joël-Champetier était l’endroit idéal pour soumettre la nouvelle. Il était même convenu avec mon éditeur que si je n’avais pas le prix, on sortirait la nouvelle dans un tirage à part, ce qui réglait définitivement la question de la parution.

Quand j’ai appris qu’il y avait eu 54 textes soumis, ce fut un choc d’autant plus grand que d’être lauréat, surtout qu’il y avait Elisabeth Vonarburg dans le jury et qu’elle est connue pour ne pas être tendre. J’ai aussi été très ému de partager cela avec mon amie. Ce n’est pas évident de vivre avec un artiste, pour beaucoup de raisons, et jusque là, les circonstances ont fait que j’étais célibataire quand j’ai obtenu mes récompenses littéraires. Il y a les félicitations des amis, de la famille, mais vivre cette émotion aussi intense avec Audrey, c’était très différent. D’autant plus qu’elle avait apporté sa contribution au texte en le relisant et en suggérant des corrections. J’ai la chance qu’elle sache faire ce travail, qu’elle supporte ma grogne quand elle rature des choses (mais je finis par admettre, après plus ou moins de mauvaise foi de ma part). C’est précieux. Contrairement à l’idée reçue, plus on avance dans la carrière, moins on écrit seul : on écrit avec, en tête, toutes les recommandations, critiques, suggestions de ceux qui ont corrigés vos textes. L’expérience se sédimente de cette manière dans ce rapport entre ce qui a été dit et ce qu’on veut écrire. On s’apprend à travers les corrections des autres, à travers ce que l’on accepte et ce que l’on rejette. Le processus est sans fin.

Enfin, c’est un prix doté de 1000 euros qui récompense une nouvelle. On sait qu’en France, la nouvelle n’est pas un genre très populaire, pour tout un tas de raisons. Alors un prix qui met spécifiquement en avant un texte (et pas un recueil), c’est aussi l’occasion de mettre en avant les nouvellistes. J’ai commencé à publier des nouvelles, je continue d’en écrire et je trouve toujours autant de plaisir à le faire. J’espère que ce prix continuera de motiver les auteurs francophones et que les Utopiales trouveront comme avec la littérature jeunesse, un autre moyen de valoriser ces genres.