Category: L’Expansion


« Le roman d’Olivier Paquet est très agréable à lire. Je ne me suis jamais ennuyé à sa lecture tant celui-ci est tourné vers l’émerveillement, et c’est un vrai régal au milieu de tant de livres sombres. Chapitre après chapitre on découvre les personnages du roman. Relativement nombreux, on ne s’attarde pas spécifiquement à en suivre un uniquement mais tout un ensemble de personnages d’origines différentes. Chaque chapitre peut presque fonctionner comme une nouvelle et extraite du livre pourrait se suffire à lui-même. Pas tous bien sur, mais une bonne partie quand même. Dans sa manière de conter, même si chaque chapitre peut s’autosuffire, Olivier Paquet livre des informations chapitre après chapitre et dispose des détails ici et là, offrant des précisions sur ses personnages petit à petit, donnant à son univers un contenu de plus développé. « 

Quand j’avais sorti mon premier roman Structura Maxima, Joëlle Wintrebert m’avait dit que j’écrivais mes chapitres comme des nouvelles. Heureux de voir que des critiques continuent de s’en rendre compte. Je ne ferai pas toujours comme ça, mais pour le Melkine, c’est très bien vu.

  • Le 25 septembre va sortir Bleu Argent, dans la nouvelle collection de l’Atalante, AYA, consacrée au Young Adult. C’est la première fois que je m’aventure officiellement en dehors de la littérature adulte, mais je pense que ceux qui ont lu la trilogie découvriront de nouveaux aspects de l’univers de l’Expansion. C’est de l’aventure sur un monde dont l’énergie dépend des contes que récitent les habitants, le tout dans un double-anneau monde. Les volumes de la collection AYA auront des rabats et je joins un aperçu du résultat.

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Et enfin, pour expliquer les liens entre Bleu Argent et la trilogie, j’ai écrit un petit texte qui résume le processus et ce que j’ai voulu faire dans ce roman. On le trouve sur le blog de l’Atalante.

« …comme avec la Trilogie, le désir des étoiles et la quête de vérité sont les moteurs essentiels de Bleu Argent. Si le Melkine est un héros, ce n’est pas parce qu’il est un navire spatial, mais parce qu’il incarne un rêve fondamental et que c’est une manifestation de liberté pour tout jeune (garçon ou fille, et je tenais particulièrement à ce dernier point) qui ne se contente pas des règles que la société lui impose. Cependant, cette liberté s’acquière non par la violence, mais par l’intelligence et elle constitue une source de joie incomparable. »

« Le carrosse s’engagea sur la Kaiserplatz et contourna la « meringue ». Lorenza surnommait ainsi le bâtiment vaguement rond qui occupait le centre de la place et débordait de décorations couleur guimauve et tons pastel. C’est dans ce palais d’Hansel et Gretel que reposait l’unité Neumann gérant la planète. On aurait pu croire qu’il aurait été plus judicieux de le placer dans la capitale impériale, Wien, mais l’empereur Wilhelm ne voulait pas d’une intelligence artificielle dans sa ville. Rien qui puisse incarner le véritable pouvoir sur cette planète. Pantin ridicule, pensa Lorenza tandis que le carrosse contournait les arches rococo soutenant la frise allégorique pleine de chars majestueux et de figures mythologiques. Quelle petitesse à vouloir faire croire qu’il était autre chose qu’un comédien en éloignant le véritable acteur. Tout au plus décidait-il des jours de parades et des périodes de canonnades. Même les manœuvres étaient artificielles. Que dirait Carl Apponyi s’il apprenait les raisons pour lesquelles la cavalerie ne chargeait pas et restait derrière les murs ? Pas seulement parce que le terrain était boueux, comme le prétendait l’Etat-Major. Et pour les mêmes raisons, le pitoyable empereur avait exilé la machine qui assurait son règne dans ce lieu ridicule. Combien de passants connaissaient la véritable fonction du bâtiment, à part les ingénieurs à l’intérieur ? Ce n’était pas un secret, mais le conditionnement en cachait l’essentiel. Le hochmeister devait savoir, il était intelligent. On ne confiait pas les rênes de l’ordre teutonique à un imbécile. Mais étrangement, Lorenza n’était pas rassurée.

Le carrosse remonta la Brunnstrasse et arriva en vue  de l’Orderburg, le palais teutonique. Les remparts massifs, construits en pierre noire, présentaient un aspect menaçant, brutal, digne d’une forteresse ayant longtemps combattu. Peu importe, en fait, que l’ensemble ait été produit par synthèse et que la peinture ait été injectée dans le matériau après l’édification du palais. Aucun éclat d’obus ou de balle de fusil n’avait jamais entamé la surface, mais rien ne disait, non plus, que les murs y résisteraient un jour. L’unité Neumann avait dirigé les travaux en composant avec les couches géologiques de la planète, pas en tant que bâtisseur de lignes de défense expérimenté. Les créneaux auraient sans doute été moins larges et biseautés, et les tours d’angle n’auraient pas des meurtrières horizontales mais verticales. Esthétiquement, c’était réussi, cela impressionnait, surtout la nuit à la lumière des réverbères, mais en pratique, il y avait matière à débats.

Passé la herse, le carrosse roula sur du gravier. La passagère apprécia le confort résultant à la fois de la fin du bruit mat des roues et de l’absence de vibration. Même si le véhicule était luxueux, les suspensions n’amortissaient pas vraiment les chocs. Le palais se trouvait au bout de l’allée, entre les massifs d’arbustes entourant les places des revues de troupes. En lui-même, il ne valait pas le palais de Schönbrunn. Certes, sa longue façade et ses colonnes en imposaient, mais l’escalier central n’avait rien de fastueux, et les balcons n’étaient pas couverts de statues. Il s’agissait d’une copie imparfaite d’une copie. Et comme l’original terrien était déjà une copie, tout cela prenait des proportions vertigineuses qui firent glousser Lorenza sur son siège. Le carrosse finit par s’arrêter devant l’escalier, la portière s’ouvrit. »

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Cette planète dépend du Nuage de Banquise. Son conditionnement culturel archaïque est de type austro-hongrois.

Toute la société de cette planète est organisée autour de la guerre contre les Russes. Régulièrement, les armées impériales se déploient sur les terrains de manoeuvres en périphérie des villes et tirent sur les soldats ennemis visibles à l’Est. Jusqu’ici, l’ennemi n’a jamais atteint les murs de Wien ou d’autres villes importantes.

Il existe une forte hiérarchisation sociale sur cette planète, avec les Großdeutschen, les Allemands de la noblesse, les Kleindeutschen, les Allemands d’extraction modeste, et la population hongroise. Les limites entre ces castes sont infranchissables, et si un individu peut briller et progresser à l’intérieur, il ne peut obtenir les mêmes privilèges que le moins avancé des Großdeutschen. La population juive est hors caste, mais doit choisir son appartenance. Un membre de cette communauté peut se déclarer Großdeutsch, mais il n’aura jamais accès au palais de l’Empereur, ni aux cercles de sociabilité les plus restreints comme le Casino de Wien. Aucun juif ne se déclare membre de la population hongroise.

Ordres et corporations régissent la plupart des métiers et activités sur cette planète, les grandes familles allemandes ont tout pouvoir pour organiser la prospérité de tel ou tel meister. Il est impossible d’exercer en dehors de la surveillance des ordres corporatistes.

« Le planeau se débarrasse des gouttelettes accrochées au bord des ailes et glisse en pente douce dans l’air. Pleine ligne droite. Romain n’a même pas senti son estomac se soulever quand l’appareil a changé de milieu. Pablo est un as. Le planeau amorce son premier virage sur la droite. Depuis l’habitacle, on voit les formes vallonnées du Bajo Plano : le vert luxuriant des champs de maïs, l’aridité du désert de l’est et son immense lac de sel, et, au loin, les formes acérées des Nouvelles Andes. Le soleil illumine le paysage, le dévoilant sur des kilomètres à la ronde. Romain distingue les reliefs des autres Altos Planos, avec leurs éoliennes et les chutes d’eau qui tombent de ces îlots artificiels en sustentation. Si on s’en approche (ce qui est interdit), on peut ressentir l’énorme énergie électrique transmise vers le sol et qui alimente les villes par ondes radios.

À la moitié de la courbe du virage, Chichén Itzá apparait dans la splendeur de ses pyramides tronquées. Depuis son dernier séjour au Bajo Plano, Romain estime qu’au moins quatre ou cinq bâtiments de ce type ont été construits. La ville s’étend, englobant ses banlieues, fusionnant en une masse d’ocre et de cobalt. Les grandes places de cérémonie forment d’étranges balafres d’asphalte au milieu des constructions. Un instant, Romain se demande si l’on y pratique encore le faux sacrifice rituel en l’honneur du soleil, avec le cœur du condamné offert en offrande, dégoulinant de sang. Peu importait si l’organe était reconstitué par génie biologique dans le quart d’heure qui suivait et le condamné maintenu en coma artificiel pendant qu’on lui découpait la poitrine, la scène avait toujours révolté l’instituteur. C’est pour cette raison qu’il avait choisi d’habiter sur un Alto Plano : le conditionnement culturel n’excuse pas tout. On ne devrait pas ainsi parodier la mort.

Le planeau se stabilise et entame un second virage sur la gauche, cette fois. La grande pyramide à niveaux appelée Viracocha reflète la lumière du jour, éblouissant Romain et Rebecca. L’instituteur détourne la tête et regarde de l’autre côté.

Un condor.

L’oiseau profite du même courant que le planeau, indifférent à l’appareil. Les ailes étendues, luisantes, vibrent à peine. Romain se focalise sur l’animal. Comme ils lui manquaient sur l’Alto Plano ! Glisser sur l’air, regarder le sol avec majesté. Dis, mon ami, que vois-tu d’ici ? Quelle charogne t’intéresse ? Vole, pendant qu’on ne te chasse pas. »

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Cette planète est située dans le Nuage de Banquise. Son conditionnement culturel est influencé par les cultures sud-américaines précolombiennes.

Parmi ses particularités, on distingue les Alto Plano, ces îles flottant dans le ciel qui permettent la culture et le développement d’éoliennes. Des canaux permettent de s’y déplacer à l’aide de planeau, un appareil hybride entre le planeur et la barque. Peu de gens vivent sur un Alto Plano, parce que l’essentiel de la vie se déroule dans les villes, notamment Chichén Itzá. Le conditionnement a toujours été strict sur cette planète, avec un système d’amendes pour ceux qui dérogent aux règles de cette société.

La pratique du sacrifice humain y perdure, mais le coeur des sacrifiés est reconstitué après la cérémonie. Depuis quelques années, le carcan de règles et de coutumes s’est desserré.

« Deux garçons se faisaient face, visage fermé, les traits durs. Il était facile de voir qu’ils voulaient se battre alors qu’ils n’avaient pas dix ans. Pour l’étranger, il ne s’agissait que d’un épisode normal de la vie, mais il ne détourna pas le regard. Le plus petit des deux enfants se mit alors à pointer l’index vers son adversaire. Son doigt se couvrit d’une substance rouge lumineuse avec laquelle il dessina un symbole en suspension dans l’air. Le second répliqua en traçant de son pouce un autre agglomérat de lignes de couleur bleue. Pendant trente secondes, les deux combattants échangèrent des figures posées sur l’air et poussèrent hurlements et grognements jusqu’à ce qu’une femme sorte d’une maison et sépare les gamins. Elle interpella le vagabond au passage :

« Vous auriez pu les arrêter ! Vous voyez bien qu’ils se battaient !

— Ce sont des enfants, et ce n’est pas dangereux.

— Ils en sont venus aux mains, quand même. On ne doit pas utiliser l’encre pour la violence, ce n’est pas bien.

— J’aime bien leur écriture, ils ont du caractère. Croyez-moi, ils ne finiront pas voyous. »

La femme haussa les épaules et secoua les enfants comme pour leur faire entendre raison puis elle retourna sous la véranda de sa maison. Le voyageur bâilla. Il chercha où s’asseoir sur un côté de la place, près du réservoir de pierre d’une fontaine et posa sa caisse à côté de lui. Il en sortit un petit panneau marqué « encreur public » et attendit, le dos contre la pierre, en mâchonnant sa brindille. Il était tout juste midi, des odeurs de cuisine perçaient à peine dans l’atmosphère. Du porc cuit quelque part, des beignets de courgette par là, du rustique. La brise qui soulevait la poussière se montrait paresseuse. Au-dessus des maisons, les nuages blancs qui se formaient annonçaient une belle journée, avec suffisamment de fraicheur pour ne pas alourdir l’après-midi et engourdir le soir. Le coin était réputé pour son climat agréable, et c’était la raison principale de sa venue ici. Il ne resterait pas dans cette sorte de paradis campagnard mais il apprécierait chaque instant. »

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Cette planète dépend du Nuage de Crépuscule. Son conditionnement culturel est majoritairement japonais, avec des composantes chinoises et coréennes.

Les habitants de cette planète sont aussi appelés « peuple des signeurs ». Une modification génétique leur permet de tracer des signes colorés dans l’air, baptisés « émogrammes ». En effet, ces signes ne sont pas un langage à proprement parler, mais un vecteur d’émotions. Un émogramme est composé d’une racine, d’un élément d’ambiance, et d’une action. Ainsi, la tristesse est la déchirure (action) causée par le vent (racine) sur une terre fragile (élément d’ambiance). Plusieurs milliers d’éléments peuvent interagir pour composer un émogramme. Autre donnée fondamentale pour comprendre ce système d’échange : la couleur. Selon la teinte, un même émogramme peut être interprété de manière différente. Il est très difficile de comprendre une émotion sans la couleur qui l’accompagne.

La société de cette planète est de type féodal, où le prestige des fiefs est une donnée importante.

Giverne

…Giverne n’était qu’une curiosité planétaire parmi d’autres, un astre isolé perdu au milieu des routes stellaires. Sa résistance face à la curiosité des scientifiques l’avait plongée dans l’indifférence. L’humanité se lassait des mystères trop épais : il en existait tant dans l’univers. Comme des cambrioleurs, les chercheurs finissaient par se focaliser sur les énigmes moins protégées, plus accessibles. Seuls quelques fous demeuraient sur place. Et il fallait être un peu cinglé pour débarquer dans un tel endroit quand on était le maître d’une Fréquence…

… De quelle couleur était-elle ? Bien sûr, il y avait le bleu profond des océans, le blanc des nuages, mais comment définir la teinte des forêts ? Il y avait une nuance de vert Véronèse, des éclats bleutés, électriques, un soupçon de rouge carmin. Quelque chose qui hésitait entre le pointillisme et l’impressionnisme. Pourtant, même en dézoomant au maximum, on ne percevait aucun motif. D’où venait cette couleur ? Pourquoi restait-elle inaccessible ? Elle identifiait Giverne aussi sûrement qu’une empreinte, et il fallait l’espace pour l’admirer…

 

Une des dernières planètes colonisées par l’Expansion, il n’y a pour l’instant qu’une petite communauté de scientifiques et d’aventuriers installés. Comme les Samaladi de Babil-One, Giverne constitue l’un des mystères de l’Expansion. Ses terres sont entièrement recouvertes d’une végétation d’un type inconnu. Les forêts sont principalement composées de ce que l’on nomme « arbres de verre ». La matière ne ressemble à rien de répertorié dans les archives humaines et même si, par facilité, on la compare au verre, elle est bien plus malléable et produit une sorte de vibration continue.

Malgré les recherches entreprises depuis 25 ans, aucune équipe n’est parvenue à décider si les arbres étaient des végétaux, des minéraux ou une entité consciente extra-terrestre. Leur comportement paraît à la fois collectif et individuel, mais aucune activité consciente n’a été détectée. Il semble clair qu’une construction humaine provoque le dépérissement des arbres tout autour sur environ une dizaine de mètres. En dehors de ce détail, Giverne demeure un mystère complet.

…Un seul autre navire pouvait rejoindre le Melkine sur sa route. Sa coque rouge, ses formes sphériques et ses antennes paraboliques rendaient son identification facile : un vaisseau-relais de Magma. Pendant un mois, il avait stationné à l’un des points de Lagrange, pour changer d’équipage. Sa technologie était bien en avance par rapport au Melkine : gravitation artificielle à chaque pont, compensateur d’accélération, double propulsion à fusion évitant les phases de retournement. Cette modernité se payait par une silhouette obèse et piquetée. Le navire était l’union de trois globes de taille inégale, deux petits aux extrémités, pour les moteurs, et un central pour l’équipage et les instruments d’émission/réception. Un grand fouillis d’antennes à la surface de la coque rendait l’ensemble menaçant et peu attrayant. Jamais personne ne rêverait de monter sur un vaisseau-relais des Fréquences.

Il faut avoir renoncé à beaucoup pour s’embarquer sur de tels bâtiments. C’est toujours ainsi pour les voyageurs interstellaires, mais les vaisseaux-relais exigeaient plus de sacrifices. L’équipage partait pour des missions de plusieurs mois sans toucher une planète. Ils erraient. Dans le monde des Fréquences, ces gigantesques entreprises de communication spatiale, on ne pouvait se contenter d’émettre à large bande : il aurait fallu trop de puissance pour ne pas perdre de données. Alors on concentrait le faisceau vers un collecteur orbital. Le défaut de ce système, c’était qu’il limitait les possibilités de mise en réseau. On ne pouvait pas utiliser un faisceau unique pour plusieurs planètes dans un secteur proche, il en fallait un pour chacune. Les navires-routeurs géraient les parcours, redirigeaient certains faisceaux en fonction des messages, mais ils se limitaient aux systèmes planétaires. Il en allait autrement pour la communication interstellaire…

Si l’on tente d’établir une typologie des navires utilisés dans l’Expansion, on peut distinguer :

  • Les navires interstellaires. Eux seuls disposent de la puissance nécessaire pour atteindre une vitesse subluminique rendant le trajet acceptable. Sont rangés dans cette catégorie aussi bien les vaisseaux-relais que le Melkine. Totalement autonomes, ils peuvent s’arrimer aux stations orbitales.
  • Les transporteurs. Cela comprend les navires des « routiers », qui amènent les marchandises, capables de cheminer en convois de plusieurs dizaines de bâtiments à la suite, mais aussi les vaisseaux-cargos, qui ont été conçus pour accueillir dans leurs soutes des navires plus petits ne disposant pas de propulsion subluminique. Ce dernier type de navire est trop gros pour s’arrimer à une station.
  • Les navires atmosphériques. On désigne sous ce vocables tout bâtiment capable d’atterrir sur une planète et d’en décoller sans nécessiter de base de lancement. Les CentraCom des Fréquences appartiennent le plus souvent à cette catégorie, car ils sont susceptibles régulièrement d’opérer de la maintenance au sol ou de traiter avec les populations. Ces vaisseaux utilisent une double propulsion leur permettant d’acquérir une vitesse suffisante pour décoller d’une planète sans endommager le sol ou l’atmosphère, mais doivent emprunter des cargos-titans pour des trajets interstellaires.
  • Les navettes. Ensemble non-homogène qui comprend aussi bien des appareils capables d’atteindre une station orbitale à partir du sol que ceux transportant des voyageurs en vitesse subluminique.

« Indira, moi je ne comprends pas. Vous reproduisez la société de l’Inde, mais vous enlevez le système de castes entre les habitants. Pourquoi l’instituer entre vous et les Spatiaux ?

— C’est évident. Personne ne désire le statut d’intouchable : ce serait une bonne raison pour partir. À l’inverse, les Spatiaux apportent leur culture, leurs idées, leur propre conditionnement. Une trop grande proximité pourrait mettre en danger les structures de notre société, en révéler le caractère factice. La barrière nous protège. Après, que ça fonctionne bien avec le concept des castes, tant mieux !

— Aucun intouchable ne peut devenir un des vôtres ? La mère d’Ai voulait vivre à Shin, elle acceptait tout, y compris qu’elle et son enfant subissent le conditionnement. »

Indira hocha la tête, pensive.

« Égoïsme. Cette femme ne pensait qu’à elle. Pour la famille de l’homme, épouser une intouchable représentait un trop grand déshonneur. Son père aurait perdu du prestige et du soutien. Il aurait plus de mal à marier ses filles, aussi. Aucune famille ne peut se permettre de perdre sa position pour une Spatiale. Encore plus si elle est enceinte. Si elle avait subi le conditionnement, elle aurait d’elle-même compris l’impasse. C’est pas possible, voilà. »

Une séparation informelle existe entre Terrestres et Spatiaux. Ces termes désignent d’une part, les habitants d’une planète, et d’autre part, ceux qui vivent dans l’espace. Il serait exagéré de parler de conflit, mais à force de vivre selon des contraintes différentes, les deux populations rencontrent souvent des soucis de compréhension. Les Spatiaux subissent des conditionnements culturels, mais n’ont pas la même vision ni les mêmes priorités que des habitants d’une planète. Il est rare qu’un couple soit formé entre un Terrestre et un Spatial. Les conditionnements culturels s’appuient sur cette dichotomie pour justifier certains interdits sociaux.

… Je croyais que l’argent n’existait plus dans l’expansion ? demanda Myriam.

— Je le pensais aussi, répondit Indira, perplexe, mais on m’a expliqué que c’est lié au conditionnement culturel. Certaines planètes utilisent une monnaie, mais c’est juste un objet transactionnel. Pour les Spatiaux, il existe des bons d’échanges. Ça permet d’obtenir des privilèges d’arrivée et de départ, ainsi qu’un accès plus rapide au ravitaillement. L’espace est limité en station, alors il faut réguler.

— Le Melkine paie ?

— J’ai pas trop compris, mais apparemment nous avons un statut spécial, avec un privilège absolu pour le navire.

— Je comprends pas le rapport avec le conditionnement culturel.

Indira se gratta le nez. Pourquoi devait-elle expliquer un truc pareil ? Elle n’avait jamais vécu dans l’espace, et l’argent n’avait jamais été un problème pour elle dans sa famille…

Aucune monnaie ne régit l’Expansion dans sa totalité. Selon les conditionnements culturels, un équivalent existe mais il ne définit pas les rapports entre une colonie et les vaisseaux spatiaux qui transitent.

L’essentiel des échanges s’apparente au troc, en fonction des besoins en ressources des uns et des autres. Aucune instance globale ne tente d’instaurer un équilibre entre les différentes planètes ou stations. Le Code d’usage gère l’essentiel des transactions. Les transporteurs spatiaux se contentent d’acheminer les marchandises et les denrées en fonction des commandes qui transitent par les Fréquences.

Les Spatiaux bénéficient d’un statut particulier, matérialisé sous la forme de bons d’échanges qui se cumulent. Ces bons offrent des privilèges lors des procédures d’entretien, d’accès et de gestion de trafic, mais ne représentent pas une taxe. Certaines stations d’exploitation de minerais (celles qui ne sont pas soumises à un conditionnement culturel) transforment ces bons d’échange en droit de propriété pour l’acquisition d’un navire spatial (ce droit est transmissible). Même si l’Expansion produit régulièrement des vaisseaux, leur acheminement d’un point à un autre demande du temps et obéit à des priorités gérées par les Fréquences.

Les unités Neumann

…La classe s’échappa de la cabine en ordre dispersé. Arthur laissa Indira avec les élèves pendant qu’il allait s’assurer que son contact samaladash était arrivé. Il n’était pas question de laisser les gamins dehors au milieu des bordels et autres maisons de passe installés au centre-ville. En se promenant dans le terminal, ils arrivèrent au balcon surplombant l’unité Neumann. De l’extérieur, on ne voyait qu’une demi-boule noire d’environ cent mètres de diamètre, plongée dans un liquide aux reflets violets. Pas de diodes clignotantes, pas d’arcs électriques, même pas d’instruments dignes d’intérêt. Juste une masse sombre dans un bassin. Pour l’essentiel, des robots circulaient tout autour pour patrouiller, tandis que les opérateurs contrôlaient l’intelligence artificielle depuis une cabine.

L’ensemble n’avait rien d’extraordinaire, mais cela n’empêcha pas Théo d’être excité par la découverte. Après tout, sur sa planète d’origine, aucune unité Neumann n’était installée :

« Alors, Madame, c’est ça qui commande la planète ?

— Commander, c’est beaucoup dire. Elle décharge les habitants des tâches subalternes comme la gestion des ressources. Elle n’impose aux habitants que ce qu’ils lui confient…

Ces intelligences artificielles sont la colonne vertébrale de l’Expansion. Le conditionnement culturel est directement associé à cette technologie. Même dans les sociétés archaïques, une unité Neumann est installée pour gérer les rapports entre les membres de la communauté et avec l’espace. Selon les modules associés à l’I.A., cette dernière gère le réseau de communication, la distribution des ressources, les commandes aux transporteurs spatiaux pour approvisionner les planètes, ainsi que l’envoi.

En situation de conflit dans la communauté, dès lors qu’il est conforme au conditionnement culturel, l’unité Neumann fournit l’armement aux différents belligérants. Elle fournit aussi le programme neuronal à implanter dans les fœtus. Son activité de régulation est à la fois économique et sociale, selon les besoins.

Les unités Neumann peuvent être transportées dans l’espace et lâchées sur de nouvelles colonies en moins d’une demi-journée. La maintenance est assurée par des robots et nécessitent moins d’une dizaine d’opérateurs humains pour être totalement opérationnelles.

À chacun, selon sa culture

Ce slogan est le principe fondamental de l’Expansion, justifiant la colonisation de centaines de planètes. Le choix de quitter la Terre reposait sur la difficulté de s’étendre sur un territoire réduit sans se confronter à d’autres traditions ou spécificités identitaires. Pays, nations, ne recouvraient pas la variété des communautés culturelles pouvant exister. Les populations des navires d’exode se répartirent selon leurs envies ou leurs désirs.

Une prise de conscience générale aboutit à la conclusion que ces identités culturelles évolueraient durant le trajet de la flotte. Comme il était inenvisageable de transférer des membres d’un vaisseau à l’autre pendant l’exode à vitesse subliminique, il fallut trouver une solution pour fixer ces spécificités.

Ainsi naquit le conditionnement culturel. Des schémas neuronaux sont implantés dans les fœtus pendant la grossesse, afin de prédisposer les enfants à se comporter selon les exigences culturelles de la communauté. Dans le monde de l’Expansion, ce système n’a pas été abandonné, bien au contraire. Il s’est enrichi, complexifié, doté de subtilités nouvelles.

Dans les sociétés dites « archaïques » (où les avancées technologiques sont refusées), le conditionnement permet aux habitants de côtoyer des objets techniques sans qu’ils en tirent des conséquences pour l’évolution de la communauté. Cette capacité repose sur les propriétés de la dissonance cognitive dans le cerveau. Même les porteurs d’un conditionnement culturel strict peuvent interagir avec des moniteurs ou des écrans de communication. En revanche, il leur sera impossible de décrire ou de comprendre le fonctionnement d’une machine ou d’une invention.

Presque toutes les planètes sont soumises à un conditionnement culturel et seuls les anciens élèves du Melkine en sont totalement dépourvus.

Il se dit qu’en certains endroits, on pratique le re-conditionnement, une forme de programmation neuronale forcée sur des sujets jeunes ou adolescents. Cette pratique, si elle s’avérait exacte,  s’opposerait au Code d’usage parce qu’elle empêcherait un individu de quitter une planète s’il n’est plus en accord avec le conditionnement culturel.