« Le carrosse s’engagea sur la Kaiserplatz et contourna la « meringue ». Lorenza surnommait ainsi le bâtiment vaguement rond qui occupait le centre de la place et débordait de décorations couleur guimauve et tons pastel. C’est dans ce palais d’Hansel et Gretel que reposait l’unité Neumann gérant la planète. On aurait pu croire qu’il aurait été plus judicieux de le placer dans la capitale impériale, Wien, mais l’empereur Wilhelm ne voulait pas d’une intelligence artificielle dans sa ville. Rien qui puisse incarner le véritable pouvoir sur cette planète. Pantin ridicule, pensa Lorenza tandis que le carrosse contournait les arches rococo soutenant la frise allégorique pleine de chars majestueux et de figures mythologiques. Quelle petitesse à vouloir faire croire qu’il était autre chose qu’un comédien en éloignant le véritable acteur. Tout au plus décidait-il des jours de parades et des périodes de canonnades. Même les manœuvres étaient artificielles. Que dirait Carl Apponyi s’il apprenait les raisons pour lesquelles la cavalerie ne chargeait pas et restait derrière les murs ? Pas seulement parce que le terrain était boueux, comme le prétendait l’Etat-Major. Et pour les mêmes raisons, le pitoyable empereur avait exilé la machine qui assurait son règne dans ce lieu ridicule. Combien de passants connaissaient la véritable fonction du bâtiment, à part les ingénieurs à l’intérieur ? Ce n’était pas un secret, mais le conditionnement en cachait l’essentiel. Le hochmeister devait savoir, il était intelligent. On ne confiait pas les rênes de l’ordre teutonique à un imbécile. Mais étrangement, Lorenza n’était pas rassurée.

Le carrosse remonta la Brunnstrasse et arriva en vue  de l’Orderburg, le palais teutonique. Les remparts massifs, construits en pierre noire, présentaient un aspect menaçant, brutal, digne d’une forteresse ayant longtemps combattu. Peu importe, en fait, que l’ensemble ait été produit par synthèse et que la peinture ait été injectée dans le matériau après l’édification du palais. Aucun éclat d’obus ou de balle de fusil n’avait jamais entamé la surface, mais rien ne disait, non plus, que les murs y résisteraient un jour. L’unité Neumann avait dirigé les travaux en composant avec les couches géologiques de la planète, pas en tant que bâtisseur de lignes de défense expérimenté. Les créneaux auraient sans doute été moins larges et biseautés, et les tours d’angle n’auraient pas des meurtrières horizontales mais verticales. Esthétiquement, c’était réussi, cela impressionnait, surtout la nuit à la lumière des réverbères, mais en pratique, il y avait matière à débats.

Passé la herse, le carrosse roula sur du gravier. La passagère apprécia le confort résultant à la fois de la fin du bruit mat des roues et de l’absence de vibration. Même si le véhicule était luxueux, les suspensions n’amortissaient pas vraiment les chocs. Le palais se trouvait au bout de l’allée, entre les massifs d’arbustes entourant les places des revues de troupes. En lui-même, il ne valait pas le palais de Schönbrunn. Certes, sa longue façade et ses colonnes en imposaient, mais l’escalier central n’avait rien de fastueux, et les balcons n’étaient pas couverts de statues. Il s’agissait d’une copie imparfaite d’une copie. Et comme l’original terrien était déjà une copie, tout cela prenait des proportions vertigineuses qui firent glousser Lorenza sur son siège. Le carrosse finit par s’arrêter devant l’escalier, la portière s’ouvrit. »

MaximilanStadt

Cette planète dépend du Nuage de Banquise. Son conditionnement culturel archaïque est de type austro-hongrois.

Toute la société de cette planète est organisée autour de la guerre contre les Russes. Régulièrement, les armées impériales se déploient sur les terrains de manoeuvres en périphérie des villes et tirent sur les soldats ennemis visibles à l’Est. Jusqu’ici, l’ennemi n’a jamais atteint les murs de Wien ou d’autres villes importantes.

Il existe une forte hiérarchisation sociale sur cette planète, avec les Großdeutschen, les Allemands de la noblesse, les Kleindeutschen, les Allemands d’extraction modeste, et la population hongroise. Les limites entre ces castes sont infranchissables, et si un individu peut briller et progresser à l’intérieur, il ne peut obtenir les mêmes privilèges que le moins avancé des Großdeutschen. La population juive est hors caste, mais doit choisir son appartenance. Un membre de cette communauté peut se déclarer Großdeutsch, mais il n’aura jamais accès au palais de l’Empereur, ni aux cercles de sociabilité les plus restreints comme le Casino de Wien. Aucun juif ne se déclare membre de la population hongroise.

Ordres et corporations régissent la plupart des métiers et activités sur cette planète, les grandes familles allemandes ont tout pouvoir pour organiser la prospérité de tel ou tel meister. Il est impossible d’exercer en dehors de la surveillance des ordres corporatistes.