Même si je persiste à penser que les manuels d’écriture sont à éviter avant d’avoir publié un texte, et qu’il vaut mieux lire, lire de tout, pour étendre ses capacités et améliorer sa technique, certains guides peuvent fournir de l’aide. L’expérience permet alors de faire le tri, et de mieux comprendre ce qui est dit, là où le débutant aura tendance à vouloir se conformer sans recul à des principes.

L’ouvrage qui a rendu célèbre Robert McKee, Story, portait sur la structure narrative, il était le résultat de son séminaire sur l’écriture de scénario et permettait d’appréhender la dynamique d’une histoire, de la séparer du concept d’intrigue, et de mettre en lumière la question de l’idée directrice. D’ailleurs, et c’est tout l’attrait à mes yeux des ouvrages de McKee, il y a plus de questions que de réponses. Pour l’auteur qui débute, le plus difficile est souvent de se poser les bonnes questions.

Dans Ecrire des dialogues, McKee aborde aussi bien le cinéma, la télévision, le théâtre que la littérature. Il pose comme postulat que l’on n’écrit pas de la même manière pour ces quatre médiums. La relation entre le visuel et l’écrit ou le dit est particulière à chaque fois, même si les mécaniques sous-jacentes ont des points communs. Si l’on veut transposer de l’écrit au dit, il faut tenir compte de l’ensemble, des contraintes esthétiques qui s’imposent.

Ensuite, McKee se concentre sur tout ce qui est dit ou non-dit, sur le texte ou le sous-texte. Pour lui, un dialogue où les personnages se contentent de dire ce qu’ils pensent ou ce qu’il font n’a pas grand intérêt. Revenant aux origines du mot, il sépare dia « à travers » et logos « discours », pour en arriver à un « au travers du discours », un terme qualifiant donc une action réalisée par le verbe et non par l’acte. Dire quelque chose, c’est réaliser quelque chose. Certes, depuis le philosophe J.L. Austin, nous savons que « Dire, c’est faire », sauf que là, c’est intégré au récit de manière plus globale.

Une fois ceci exposé, McKee en développe les conséquences créatives et esthétiques : pourquoi un dialogue sonne faux ? pourquoi une scène ne « fonctionne » pas ? comment définir le vocabulaire des personnages ? A l’auteur, il rappelle les paroles de Stanilavski. Il ne faut pas se dire « Si mon personnage était dans cette situation, que ferait-il ? » car, dans ce cas, on est en dehors de la scène, ni « Si j’étais dans cette situation, que ferais-je ? » car on est pas le personnage, mais Si j’étais le personnage dans cette situation, que ferais-je ? On crée en partant de soi, mais pas en tant que soi, en tant que personnage. Autrement dit, il faut interpréter le personnage, quitte à le mimer (comme le faisait Dickens, tel que McKee le rappelle).

Enfin, et c’est sans doute la partie la plus impressionnante de l’ouvrage, McKee analyse des scènes et met en lumière les mécaniques de dialogues aussi bien dans une série comme Les Soprano, que chez Gatsby le Magnifique de Fitzgerald ou Lost in translation de Sofia Coppola. Il décortique les temps forts, pour en sortir le sous-texte et les implications. Les exemples sont récents, on y trouve même la pièce Art de Yasmina Réza, mais on se plonge aussi dans le théâtre Shakespearien ou les pièces grecques.

Sur la partie littérature, il y a sans doute un tropisme anglo-saxon prononcé, même si McKee reconnaît les différences culturelles et leur impact sur les interactions personnelles. On ne dialogue pas de la même manière en Asie qu’en Amérique du Nord. Aussi, il faut garder à l’esprit que certains conseils valent dans ce contexte américain. Mais il demeure que les questions qu’il soulève s’adressent à tous, et que chacun doit trouver sa propre réponse.

Il existe très peu d’ouvrages sur le dialogue, et beaucoup (trop) sur le scénario. Celui de McKee se distingue par l’abondance des analyses critiques, une démarche très ouverte, centrée sur les questions plutôt que sur des règles. Chacun peut ensuite adapter ce cadre à sa propre pratique sans être écrasé par des interdits. McKee n’oublie jamais d’insister sur l’importance de la « voix » de l’artiste, ce qui lui est propre et qu’il a forgé au fil de l’écriture, aucun conseil ne doit imposer de modifier drastiquement cette voix quand on l’a trouvée. En revanche, on peut trouver dans ce livre des moyens de l’étoffer, de l’exprimer avec plus de force et de clarté.